Le site des bons clics, le fournisseur officiel de tutoriels de l‘inclusion numérique a récemment publié un article où des professionnels de la médiation numérique expliquent leurs interventions en parentalité. Plutôt que de commenter l’article, j’ai décidé de répondre moi-aussi aux questions qu’on leur a posées. Laissant ainsi les digiborigènes juger…
Vincent Bernard, coordinateur de Bornybuzz numérique et juré sur le titre professionnel de Responsable d’Espace de Médiation Numérique.
Depuis quand, et pourquoi vous intéressez-vous au thème de la parentalité à l’ère numérique ?
Depuis 2018, lorsque à la suite d’une conférence du Docteur Ducanda, la municipalité a décidé de faire quelque chose pour lutter contre lézécrans.
On était d’accord, il fallait faire quelque chose. Ce n’est pas possible de laisser des paniques morales se propager…
Qu’est-ce que recouvre cette thématique pour vous ?
La problématique centrale concerne l’éducation aux médias, autrement dit :
“Comment accompagner au mieux son enfant dans les mondes numériques ?”
Sur cette problématique se greffent les questions d’équipement et de compétences informatiques nécessaires pour suivre la scolarité des enfants. Nous distinguons clairement les deux. Ce sont des temporalités et des approches distinctes. D’ailleurs, ce n’est pas le même médiateur qui intervient. Le premier est dédié à la culture numérique, l’autre à l’inclusion. Il s’agit de deux approches qui requièrent des connaissances, des méthodologies et des postures différentes.
Qui sont vos publics pour cette thématique en particulier (âge, niveau de maîtrise du numérique, motivations…) ?
Sur cette thématique le point commun du public est d’être parent. Sinon cela dépend beaucoup du contexte de l’intervention. Les questions et les inquiétudes varient selon que l’on intervienne en ville, en ruralité ou dans des quartiers populaires. Cela varie aussi selon que la rencontre se déroule dans le cadre d’un café des parents, dans une école, un centre social ou un événement public, comme les semaines de la parentalité ou d’information sur la santé mentale, un évènement comme Super demain, etc.
Les sociétés savantes et la recherche scientifique recommandent de prendre en compte les facteurs socio-économiques. Ce constat est également observable sur le terrain. Pour le médiateur numérique cela signifie qu’il faut adapter sa posture et ses méthodologies d’intervention en fonction du public.
Comment les accompagnez-vous : en individuel ou en collectif ? Le temps d’une séance ou le long d’un cycle de formation ? A quels horaires ?
Aucun accompagnement individuel ! Hormis pour les portails numériques pour élèves lorsqu’un parent le demande à la suite d’une information collective. De plus, sur les questions de parentalité nous travaillons uniquement en partenariat. Le médiateur numérique n’intervient jamais seul avec les parents. Il y a toujours une référente famille ou un travailleur social avec lui. Le numérique fonctionne comme un révélateur de difficultés et les écrans ne sont que la face émergée de l’iceberg. Les publics doivent pouvoir obtenir une aide appropriée auprès d’un professionnel compétent et formé. C’est une nécessité éthique !
Nous travaillons par projet. Le nombre de séances, leur durée ainsi que les modalités d’interventions sont définies avec les partenaires. Nous avons cependant des ateliers types : groupe d’échange pour parents, ateliers familiaux, ateliers jeux vidéo pour parents, conférence, atelier participatif, etc. Nous concevons des parcours en fonction des besoins, envies et moyens de nos partenaires.
Il nous arrive aussi de pousser la démarche projet un peu plus loin. Par exemple, en partenariat avec un centre social, nous travaillons actuellement avec un groupe de mamans au prototypage d’un jeu qui leur permettra d’aborder le harcèlement avec leurs enfants. C’est une demande de leur part à la suite d’une première série d’interventions. Les mamans réfléchissent aussi à une campagne d’affichage et une campagne sur les réseaux sociaux. Cette manière de procéder nous permet d’introduire des objectifs de médiations numérique traditionnels : utilisations de logiciels de PAO, découverte de la sérigraphie dans l’esprit Do It Yourself, fonctionnement des médias sociaux, initiation au webmarketing et analyse critique de l’astrosurfing, etc.
Quels sont vos objectifs : sensibiliser vos publics (ex : principaux risques du numérique pour les enfants), leur transmettre des outils (ex : le contrôle parental), les faire réfléchir sur la posture (ex : parler du numérique en famille) ?
Nous ne sensibilisons pas les publics, nous leur proposons des espaces pour réfléchir à la parentalité dans un monde connecté. Pour ce faire nous nous appuyons sur le groupe et le partage d’expériences. Dans la discussion le médiateur apporte des compléments d’informations issus des recommandations des sociétés savantes et de la recherche scientifique.
Concernant le contrôle parental, nous apprenons à rechercher de l’information sur Internet, installer et paramétrer une application. Si le parent arrive seul, à trouver, installer et utiliser la solution qui lui convient, nous avons relevé le défi de son autonomie numérique…
Quelles sont les questions et les difficultés les plus fréquentes de vos publics sur cette thématique ?
Tout d’abord, il y a les questions que les parents se posent. Ces questions sont légitimes. Tous les parents se demandent s’ils font bien ou s’ils font mal avec l’éducation de leurs enfants. Ces questions sont d’ordre général. Beaucoup de parents se demandent s’ils ne sont pas trop laxistes ou à l’opposé trop strictes avec le numérique ? Ils sont pris dans une injonction paradoxale. D’un côté il y a un discours sur la numérisation de la société qui ouvre les vannes et de l’autre côté des propos anxiogènes, bien souvent exagérés, qui les ferment. Les parents ne savent pas comment se positionner entre les deux. Dans ce cas de figure, la réponse à apporter est d’ordre général. Il faut répondre aux interrogations en s’appuyant sur les recommandations des sociétés savantes et la recherche scientifique.
Le deuxième aspect concerne les inquiétudes. Ici, le parent a remarqué quelque chose dans le comportement de son enfant qui l’inquiète. Ces inquiétudes peuvent être fondées, mais bien souvent les parents réagissent par rapport à ce qu’ils ont vu, lu ou entendu. Dans ce cas, il faut les aider à prendre du recul, afin qu’ils puissent faire la part des choses entre des difficultés concrètes et l’angoisse de ne pas être un assez bon parent.
Et pour finir des difficultés. Dans ce cas de figure, il faut leur proposer les coordonnées d’un professionnel qui pourra les aider à résoudre le problème. Bien souvent, les parents qui rencontrent des difficultés ont déjà entrepris des démarches, mais le délai pour obtenir un rendez-vous est extrêmement long. Ils ont besoin d’être rassuré. Il faut alors être en mesure de leur proposer un étayage dans la situation de crise qu’ils traversent. Ces situations sont délicates à gérer parce qu’un médiateur numérique n’est absolument pas formé à cela. Il arrive aussi, mais c’est plus rare, que suite à un rendez-vous avec un professionnel de santé, alors qu’il pensait s’en sortir avec de simples conseils pour limiter le temps d’écran, le parent découvre que le problème est sérieux. Dans ce cas de figure, le médiateur numérique est “utilisé” pour confirmer l’hypothèse initiale et éviter des remises en question. Il faut savoir qu’aller voir un psychologue est malheureusement vécu comme un échec dans la capacité d’être un bon parent. Il arrive aussi que deux parents aient des points de vue différents sur l’éducation de leur enfant en général et sur le numérique en particulier. C’est d’autant plus le cas quand les parents sont séparés. Là, le risque pour le médiateur numérique est de se retrouver englué dans des problèmes de couple…
Après votre accompagnement, quels sont les retours de vos publics ?
Nous travaillons avec des adultes qui sont en mesure de tirer eux-mêmes les conclusions de leur expérience. Nous n’évaluons pas la capacité d’être un meilleur parent à la suite de nos interventions. Cette démarche serait proprement indécente.
Cependant, il est fréquent qu’après une série d’interventions la question de la suite à donner soit abordée. Parfois, cela débouche sur un projet comme avec les mamans qui conçoivent le jeu sur le harcèlement. D’autres, nous proposons aux parents de témoigner de leur expérience, comme ce groupe de mamans qui a participé à l’enregistrement d’un Podcast de la radio des parents. Il nous arrive également de proposer la création de contenus vidéo. Parfois aussi, malheureusement, cela ne débouche sur rien faute de temps mais surtout de moyens !
Avez-vous déjà proposé aux parents de prolonger leur apprentissage chez eux ?
L’objectif à la base est de permettre aux parents d’accompagner leurs enfants dans leur découverte des mondes numériques. Plus qu’une question de formation, il s’agit de s’intéresser aux pratiques numériques de leurs enfants et/ou d’en discuter avec eux. Nous recommandons aussi chaudement aux parents de jouer à des jeux de société ou des jeux vidéo en famille, de regarder des séries, de passer des bons moments avec ou sans écran…
Que serait, selon vous, un accompagnement à la parentalité numérique réussi ?
Nous n’accompagnons pas les parents, nous leur proposons des espaces d’échange et de réflexion. Ce sont des adultes. Ce serait paternaliste, présomptueux et méprisant que de penser qu’il faille les accompagner….
Sinon, que les participants comprennent que le problème est toujours entre le siège et l’écran est un de nos objectifs. La plupart du temps, il aboutit. D’ailleurs, nous pouvons également proposer des formations aux professionnels qui de toute évidence en ont grand besoin !