ENT, Pronote, Mednum, UX & contexte

par | 25 Mar 2023 | Carnet de notes | 0 commentaires

De plus en plus un ras le bol du tout numérique se fait entendre. En tête de cortège nous retrouvons les environnements numériques de travail et autres outils de gestion de la vie scolaire. Ce billet propose de faire le point sur la question. A partir d’articles scientifiques et de presse, il tente de déterminer des axes de travail pour la médiation numérique.

Environnement numérique de travail

L’acronyme ENT signifie Environnement Numérique de Travail. Il s’agit d’une plateforme informatique qui regroupe différents outils numériques afin de faciliter la scolarité et le travail collaboratif. Les ENT sont utilisés principalement dans les établissements scolaires (écoles, collèges, lycées) mais aussi dans les universités et les entreprises.

Les fonctionnalités proposées par un ENT peuvent varier d’une plateforme à l’autre. Elles peuvent inclure des outils de communication (messagerie, forum), des espaces de stockage et de partage de fichiers, des outils de gestion de projet, des outils pédagogiques pour l’apprentissage en ligne, des services d’agenda et de planification, des outils d’évaluation et de suivi, etc.

Les ENT sont à distinguer des LMS, les learning management systems qui sont des plateformes dédiées au apprentissages. Spécificité française, les premiers ENT ont été pensés comme des outils de gestion de la vie scolaire. Ce n’est que dans un second temps que des fonctionnalités permettant l’apprentissage ont été implémentées (Schneewele, 2014).

Le financement des ENT étant assuré par les collectivités territoriales (les conseils généraux pour les collèges et les conseils régionaux pour les lycées), ce sont les collectivités, et non les établissements, qui ont la responsabilité de choisir leur ENT auprès de différents éditeurs de solutions et de le déployer selon une logique propre à chaque territoire (Genevois & Poyet, 2010).

Ce niveau de décision, sans doute trop éloigné des utilisateurs, expliquerait que bien souvent, les chefs d’établissement adjoignent Pronote une solution tierce et payante, dédiée à la vie scolaire, qui peut parfois faire doublon avec l’ENT.

Quoi qu’il en soit, ces outils permettent, dans l’idéal, aux établissements scolaires de créer du lien entre leurs utilisateurs. L’ensemble de la communauté éducative, y compris les parents, peuvent se réunir au sein de cet espace numérique en vue d’accompagner les élèves dans leur apprentissage. Pour certains même, le renforcement de l’interaction entre les acteurs favoriserait la constitution d’une intelligence collective (Badra, 2009). C’est le principe aussi de la coéducation qui est visé avec ces outils (Schaming & Marquet, 2019).

Une étude (Idid.) portant sur 1065 collégiens montre que l’ENT permet de mettre en place un cadre favorable à certaines innovations pédagogiques. Par exemple, le module Cahier De Texte permet aux familles d’accompagner leur enfant dans le cadre d’une classe inversée ; le module Notes représente le moyen de vérifier rapidement l’acquisition des savoirs pour travailler avec l’enfant-élève. Plus généralement, c’est une opportunité pour le travail à la maison en s’appuyant sur les données de l’école ; ainsi que pour la communication entre la maison et le collège.

Capture d'écran du site l'école des réseaux sociaux

Un bilan contrasté

Cependant, cet idéalisme quant à l’intelligence collective et la coéducation peut être nuancé par des retours d’expérience.

Culture scolaire et utilitarisme

De par leur nature les ENT induisent une rupture avec la culture scolaire. En effet, l’accès distant à des services habituellement disjoints (messagerie, forums, agenda, gestion des notes, emploi du temps, cahier de textes, espaces de partage…) réduit certes certaines contraintes, comme celles liées à l’unité de lieu et de temps. Cependant, la discontinuité apporte un sentiment d’éparpillement et une illusion de liberté. Si travailler en dehors de l’école permet l’individualisation de l’apprentissage, cela nécessite une autre forme de continuité dans les enseignements, grâce notamment à un accompagnement en ligne par l’enseignant et celui de proximité par les parents (Genevois & Poyet, 2010).

Cependant, du côté des parents cette nouvelle proximité est empêchée par une représentation utilitariste de l’outil. Une étude sur 1 570 questionnaires (902 élèves, 399 enseignants, 182 parents et 87 profils tels que des inspecteurs d’académie, des chefs d’établissement, des membres du personnel de la vie scolaire) relève que les parents et les élèves seraient surtout intéressés par les notes et les informations mises à disposition. De leur côté les enseignants seraient plutôt centrés sur les fonctions de communication et de mise à disposition d’informations. Ainsi les représentations de l’ENT ne semblent pas converger dans le sens d’un travail collaboratif, mais plutôt vers un “dyade émetteur-récepteur”. L’outil serait donc surtout perçu par sa fonction utilitaire (Schneewele, 2014).

Résistances au changement et représentation des parents

Une recherche portant sur le déploiement du cahier de texte en Lorraine portant sur 3272 individus (2662 élèves, 401 parents, et 209 enseignants / personnels de direction) a montré des résistances aux changements surtout chez les enseignants (Cherqui-Houot et al., 2010). Ainsi, on constate un dédoublement entre le cahier de texte en ligne et le papier, pour des raisons de sécurité et peur du bug. Les enseignants déplorent aussi le temps de travail supplémentaire que ce nouvel outil implique. De plus, pour les auteurs, cela soulève la question du droit de regard sur le travail d’autrui et potentialise de nouvelles interdépendances entre les acteurs, voire de nouveaux conflits.

Derrière ces conflits potentiels se découvre parfois une représentation négative des parents de la part des enseignants. Ainsi, une étude qualitative réalisée sur 6 collèges pointe un renouvellement du malentendu entre enseignants et parents au sujet des places et rôles de chacun. Du point de vue des enseignants interrogés, les doutes sur la volonté et les capacités parentales à s’investir dans la scolarité de leur enfant persistent. Et nouveauté, une impression d’envahissement est ressentie. Cet envahissement provient de certains parents excessivement inquiets. Certains parlent même du souhait de “régler leurs comptes” par messagerie à des heures indues (Rinaudo, 2016).

ParENTs connectés

Les ENT sont pensés et présentés comme des solutions techniques qui visent l’efficience et l’optimisation. Cependant, ils soulèvent plusieurs questions : celle de la fracture numérique ; celle de la surveillance parentale ; celle du solutionnisme technologique par rapport au dialogue ; et celle de la limitation du temps d’écran en regard de l’injonction institutionnelle de les utiliser (Danino & Laval, 2009).

Fracture numérique

Si l’on évoque souvent l’équipement informatique et la connexion comme frein à l’accès au numérique, d’un point de vue matériel la fracture numérique tend à se résorber. Ainsi toutes classes sociales confondues, les adolescents sont équipés en ordinateur et/ou smartphone. Cependant, ce sont leurs usages et l’accompagnement parental qui diffèrent. Aussi la vision technocentrée qui consiste à équiper les élèves en matériel, en logiciel et en application prolonge une vision consumériste et va à l’encontre du renouvellement pédagogique, de la culture numérique et du pouvoir d’agir (Plantard, 2015, 2016).

Capture d'écran du site les bons clics

Solutionnisme et surveillance

L’étude de Cherqui-Houot et ses collègues (2010) montre que le Cahier De Texte en ligne est plutôt bien accueilli par les élèves et les parents. Pour les premiers, il permet de ne rien oublier et d’éviter les sanctions ; pour les seconds, il permet de contrôler le travail de leurs enfants. A noter que les mères utilisent davantage l’ENT que les pères, et que les enfants semblent peu enclins à informer les parents de cette nouvelle possibilité de contrôle. On retrouve également cette notion de contrôle dans un rapport se basant sur 4 collèges remis au Conseil général des Hauts de Seine (Aït Abdesselam, 2009). Ce rapport indique que les parents adhèrent à l’ENT pour se rassurer. Ainsi, cette adhésion s’inscrit davantage dans une logique de surveillance de leur enfant que dans une logique de collaboration avec l’école.

Temps d’écran

Dans le livre blanc “Parents, enfants & numériques (Rohmer et al., 2021), Jocelyn Lachance pointe une tension entre le désir des parents que leurs enfants se connectent moins souvent et les encouragements émanant de différentes institutions, école en tête. Pour le chercheur, l’école participe à l’augmentation du temps passé devant les écrans. Ainsi, l’utilisation des outils numériques en classe, l’utilisation d’Internet pour faire des recherches et l’ENT influent sur le “pacte de connexion” (Lachance, 2019). En effet, il est difficile pour les parents de savoir si les adolescents se distraient ou travaillent en ligne. Dans ces circonstances, ils ont encore plus de mal à gérer le temps d’écran, et ce d’autant plus que les jeunes savent jouer avec cette contradiction pour contourner l’interdit.

Pronote

Les recherches citées en référence datent d’une dizaine d’années et ne concernent que les ENT. En fait, il ne semble pas y avoir eu d’évaluation des ENT au niveau national, mais seulement à des échelles locales. Depuis la publication de ces recherches Pronote, le logiciel de gestion de la vie scolaire s’est largement invité à l’école. Il serait utilisé dans 75% des collèges et lycées.

Il ne semble pas que l’impact du logiciel ait été étudié par des chercheurs. C’est pour l’instant la presse qui relaie les griefs, en augmentation nous dit-on. Ainsi, Pronote serait une source de stress pour les élèves comme pour les parents. Chez les premiers, les notifications intempestives viendraient renforcer l’anxiété. Se pose alors la question du droit à la déconnexion des élèves. Chez les seconds, certains parents évoquent un phénomène qui serait proche du FOMO, la fear of missing out ou peur de rater quelque chose (Hirou, 2022a, 2022b).

Une autre critique concerne le risque de surveillance excessive. Ainsi, le fait que les parents soient informés du moindre évènement tels que les bavardages, disputes ou retards vient entraver la confiance et la liberté nécessaire à toute éducation (Hirou, 2022a, 2022b; Tourette, 2022).

Capture d'écran de PIX

Les notes sont aussi pointées du doigt. Dans ce registre, on assiste à un renforcement de l’obsession pour les résultats au détriment de ce qu’a ou n’a pas compris l’élève (Ibid.).

De leur côté, certains enseignants peuvent recevoir des messages maladroits ou virulents (Hirou, 2022b). D’autres déplorent la hausse des tâches administratives qu’implique le logiciel qui viendrait redéfinir le métier d’enseignant (Tourette, 2022).

Expérience utilisateur

Face à ces problématiques, Index éducation, l’éditeur de Pronote fait évoluer son logiciel au fur et à mesure. Par exemple, il a ajouté une fonctionnalité qui permet aux enseignants de décaler la publication des notes dans l’espace parents, afin que les élèves puissent les voir en premier. Si cette amélioration, ainsi que celles qui vont suivre sont autant louables que nécessaires, elles ne sont pas sans rappeler des questions souvent soulevées par le numérique.

Solutionnisme technologique

Tout d’abord, on constate un clivage dans les représentations de ces outils. Si l’idée derrière le déploiement de ces outils visait la coéducation et la collaboration entre les membres de la communauté éducative, il semblerait que la dimension utilitaire l’emporte. La gestion de la vie scolaire, à des fins d’efficacité et d’optimisation, prédomine sur le renouvellement de la pédagogie et de l’apprentissage. Deux phénomènes peuvent expliquer cela : (i) La représentation utilitaire des outils et leur déploiement descendant qui laisse entrevoir un numérique davantage subi que choisi. (ii) L’introduction de solutions numériques qui vient reconfigurer les identités et postures professionnelles ou parentales, ce qui engendre inévitablement des résistances au changement. Ces résistances sont légitimes, elles devraient être davantage étudiées et accompagnées. L’approche solutionniste du numérique devrait aussi être questionnée. La technologie engendre des changements culturels qui ne sont pas assez pris en compte.

Usages problématiques

Ensuite, il est amusant de constater que les reproches faits aux ENT ou Pronote sont les mêmes que ceux adressés aux réseaux sociaux. Bien entendu, on ne peut pas soupçonner Pronote d’avoir implanté un “algorithme addictif”. Il n’empêche que les témoignages laissent entrevoir des problèmes dans l’expérience utilisateur. Des problèmes directs comme le renforcement de l’anxiété, FOMO, comportements négatifs en ligne ; et des problèmes indirects comme favoriser la surveillance au détriment de la relation de confiance. Ce qui amène alors à se questionner sur l’impact de ces outils sur le bien-être et la vie de famille.

Médiation numérique

En médiation numérique nous avons tendance à attribuer la non-utilisation ou la mauvaise utilisation à un manque de compétences techniques de l’utilisateur. Ainsi, lorsque des médiateurs numériques s’emparent de la question des ENT, ils accompagnent les parents dans la découverte des fonctionnalités et leur apprennent à utiliser les outils sans tenir compte du contexte. Or, dans ce cas précis, ces outils semblent d’une part échapper à leur vocation initiale (la coéducation) et de l’autre potentiellement interférer sur le bien-être et la vie de famille. Aussi, plutôt que d’accompagner les publics dans une démarche “pas à pas”, les médiateurs devraient être en mesure de déconstruire ses représentations (des parents et des enseignants) afin d’accompagner effectivement le changement, ainsi que de faire remonter ces expériences utilisateurs négatives afin de participer à l’amélioration des outils, car force est de constater que le problème n’est pas que du côté de l’utilisateur.

Bibliographie

Aït Abdesselam, N. (2009). Sens et enjeux de l’ENT : les usages des parents d’élèves de quatre collèges des Hauts-de-Seine. Conseil général des Hauts-de-Seine.

Badra, L. (2009). Les TIC au cœur du développement d’un territoire : Comment les acteurs politiques et institutionnels représentent-ils l’ENT Auvergne ? In L. Viera & N. Pinède (Éds.), Stratégies du changement dans les systèmes et les territoires : EUTIC 2009 — Bordeaux Enjeux et usages des technologies de l’information et de la communication (p. 105‑117). Maison des Sciences de l’Homme d’Aquitaine.

Cherqui-Houot, I., Trestini, M., & Schneewele, M. (2010). Les usages d’un cahier de texte en ligne. Cas de l’ENT Lorrain, l’environnement PLACE. Distances et savoirs, 8(2), 241‑256.

Danino, P., & Laval, C. (2009). Construire l’école transparente ? Les conséquences de « l’Espace Numérique de Travail » sur le métier des enseignants, les conditions d’apprentissage et les rapports pédagogiques. L’Enseignement philosophique, 59e Année(5), 36‑54.

Genevois, S., & Poyet, F. (2010). Espaces numériques de travail (ENT) et « école étendue ». Vers un nouvel espace-temps scolaire ? Distances et savoirs, 8(4), 565‑583.

Hirou, A. (2022a). Pronote : Le logiciel de la discorde. L’Express, 3724, 32.

Hirou, A. (2022b). Pronote : Le logiciel qui sème la discorde à l’école. L’express.

Lachance, Jocelyn. (2019). La famille connectée. De la surveillance parentale à la déconnexion des enfants. Erès.

Plantard, P. (2015). Contre la « fracture numérique », pas de coup de tablette magique. Revue Projet, 345, 23.

Plantard, P. (2016). Numérique et inégalités éducatives ? Du coup de tablette magique à l’e-éducation. Diversité : ville école intégration, 4ème trimestre 2016(186), 27.

Rinaudo, J.-L. (2016). Parents d’élèves et environnements numériques de travail au collège. Education & Formation, 306, 57‑63.

Rohmer, T., Lachance, J., haza, & gérard, O. (2021). Livre Blanc « Parents, enfants & numérique ». Open, Unaf.

Schaming, C., & Marquet, P. (2019). ENT et coéducation école/famille. La politique éducative d’un établissement peut-elle influencer l’appropriation de l’ENT ? Spirale — Revue de recherches en éducation, 63(1), 37‑49.

Schneewele, M. (2014). Représentation sociale d’un ENT dans l’enseignement secondaire : Une étude pour comprendre et analyser les usages. Carrefours de l’éducation, 37(1), 211‑226.

Tourette, L. (2022). La vie scolaire sous Pronote. Le Monde diplomatique.

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