Invité à intervenir lors d’une table ronde sur le thème “La pornographie en ligne : une école sexiste et des violences sexuelles ? Les jeunes en danger ?”, je retranscris ici le conducteur qui m’a été transmis, ainsi que mes éléments de réponse.
Espace numérique : les réseaux sociaux et certaines plateformes sont-ils à épingler ?
Ce qui se joue est une tragédie en 3 actes : (i) tout d’abord, des associations françaises ont porté plainte contre des sites diffusant de la pornographie en ligne. Je rappelle que la mise à disposition de pornographie à des mineurs est interdite par la loi. Elles auraient pu avoir gain de cause, mais la justice a refusé de trancher en raison d’un projet de loi en préparation. (ii) Ensuite, ce projet de loi prévoit la mise à disposition d’un référentiel préconisant des solutions techniques à destination des sites en question, ce qui déplait aux associations qui réclament une application pure et simple de la loi. (iii) Et pour finir, la commission européenne critique également le projet de loi français, car il contreviendrait au Digital Service Act (DSA), notamment parce que le texte européen prévoit que les sites internet appliquent la législation en vigueur dans leur pays d‘origine. Sur ce point le texte français et les associations entrent en contradiction avec le DSA, puisqu’au niveau européen la vérification systématique de l’âge serait, en fait, tributaire d‘une législation extranationale.
De plus, pour certains, ce projet de loi irait à l’encontre des libertés fondamentales.

Il est aussi nécessaire de préciser que cette pièce se joue dans un théâtre où la recherche scientifique constate : (i) que l’âge du premier rapport sexuel est stable depuis 40 ans et que le premier rapport sexuel est majoritairement consenti (Amsellen-Mainguy & Vauttoux, 2018, 2020); (ii) que les études européennes EU Kids online, sur la population générale, montrent que la pornographie n’est pas une problématique aussi préoccupante qu’on le prétend (Smahel et al., 2020; Livingstone & Haddon, 2009) ; (iii) Et que l’académie de médicine rappelle que les problèmes liés à la pornographie dépendent de vulnérabilité psychologiques préalables (Cohen, 2023).

Nous sommes donc à l’articulation de problèmes juridiques, techniques et moraux. Les risques encourus par les enfants sont largement surestimés. En fait, la problématique de la pornographie, comme tous les risques et dangers liés au numérique ne sont pas abordés avec le sérieux qui devrait être de mise. Sur ce sujet, on peut citer Sonia Livingstone (2014) qui a coordonné les études européennes kids online de 2010 et 2020 et qui indique que d’un point de vue général :
Il est essentiel de reconnaître que tous les enfants ne sont pas exposés à des risques et que tous les risques ne conduisent pas à des préjudices.
Et que concernant la pornographie en particulier :
Bien que les inquiétudes du public concernant les contenus sexuels en ligne soient justifiées, il ne faut pas exagérer l’étendue de l’exposition des enfants, ni supposer que tous les enfants sont perturbés ou blessés par cette exposition — les résultats actuels ne confirment pas certaines des paniques morales entourant cette question.
Accès facile, sites gratuits peu ou pas contrôlés qui échappent à tout le monde : peut-on mesurer ce phénomène — Qu’est-ce qui se passe ?
Lorsqu’on voit les faibles quantités et qualités des études que l’académie de médecine a eu à sa disposition pour rendre son avis, on se dit que la prudence doit vraiment être de mise. Obliger les plateformes à ouvrir leurs données à la recherche permettrait d’y voir enfin plus clair. Là-dessus le Digital Service Act va dans le bon sens.
Cependant, il faut être conscient qu’empêcher les mineurs d’accéder à ces sites, c’est les envoyer vers des coins reculés d’internet encore moins fréquentables et encore moins contrôlables.
En fait, ce qui se passe : c’est comme essayer de remonter une vis sans fin sur les coudes. On s’épuise tout en sachant qu’on n’arrivera jamais au bout.

Bienfaits et face cachée du numérique : faut-il sensibiliser sur la bonne utilisation du numérique au regard des risques accrus survenus pendant la période du Covid ?
Je ne vois pas quels sont les risques accrus survenus pendant la période Covid ? A ma connaissance aucune étude scientifique sérieuse ne vient confirmer ce fait. Il faut éduquer au numérique parce qu’il est devenu incontournable dans notre société, un point c’est tout.
Rôle des parents : faut-il accompagner les parents sur le contrôle de l’usage en continu du numérique par les jeunes ?
Le contrôle de l’usage en continu ? Michel Foucault, si tu m’entends ? Je me demande sérieusement pourquoi dès qu’il s’agit d’internet le bon sens et la raison volent en éclat ? Bien sûr, il faut accompagner les jeunes dans la découverte des mondes numériques. Sauf que c’est un travail d’éducation, pas de contrôle ou de surveillance. Le jour où l’on s’occupera des pratiques effectives des jeunes plutôt que des peurs fantasmées des adultes, l’éducation aux médias aura fait un bond en avant.
Les seuls parents qu’il faut accompagner sont ceux qui rencontrent des difficultés dans l’exercice de leur parentalité. La majeure partie des enfants et des adolescents vont bien, et la plupart des parents font leur job correctement. De plus, ce sont des adultes majeurs, responsables et a priori vaccinés. D’où vient cette idée qu’il faudrait tenir tous les parents par la main ?
Concernant le numérique les parents ont des questions, des inquiétudes ou des difficultés. Chacun des trois item doit pouvoir trouver une réponse adaptée à la situation dans les territoires, ce qui est loin d’être le cas. Dans ma pratique tous les parents en difficulté que je rencontre sont en attente d’un rendez-vous chez un spécialiste, avec un délai qui va de 6 à 8 mois. Le problème n’est donc pas les écrans, les jeux vidéo, ou les réseaux sociaux mais le service public de santé qui n’a pas les moyens de travailler correctement.
Encore une fois, vouloir pointer à tout prix les risques du numérique est irrationnel, contreproductif et anachronique.
Bibliographie
Amsellen-Mainguy, Y., & Vauttoux, A. (2018). L’intimité et la sexualité en ligne à l’adolescence. Enjeux sociaux des usages sexuels d’internet. INJEP.
Amsellen-Mainguy, Y., & Vuattoux, A. (2018). Construire, explorer et partager sa sexualité en ligne. Usages d’Internet dans la socialisation à la sexualité à l’adolescence (14; INJEP Notes & rapports/Rapport d’étude, p. 126). INJEP.
Cohen, D. (2023). Rapport 23–01. Accès à la pornographie chez l’enfant et l’adolescent : Conséquences et recommandations. Bulletin de l’Académie Nationale de Médecine, 207(4), 381‑398.
Livingstone, S. (2014). Risk and Harm on the Internet. In Media and the well-being of children and adolescents. Oxford University Press,.
Livingstone, s, & Haddon, L. (2009). EU Kids Online : Final report. LSE.
Smahel, D., Machackova, H., Mascheroni, G., Dedkova, L., Staksrud, E., Ólafsson, K., Livingstone, S., and Hasebrink, U. (2020). EU Kids Online 2020: Survey results from 19 countries. EU Kids Online.